Algérie : avez-vous vraiment intérêt à rester en entreprise individuelle ?

La majorité des commerçants en Algérie sont sous forme d’entreprises individuelles, souvent familiales. Mais est-ce vraiment intéressant à l’heure actuelle ? Quels sont les intérêts à passer sous forme sociétale ?

L’entreprise est une organisation matérielle et humaine dont l’objectif est, en

principe, de réaliser des bénéfices, de participer à une activité économique.

Mais, toute entreprise n’est pas forcément une société, alors qu’en principe toute société est une entreprise.

L’entreprise peut avoir un objet commercial, ou, plus curieusement, un objet civil.

Un cabinet d’experts-comptables, de médecins ou d’avocats par exemple est une entreprise à caractère civil mais qui n’en demeure pas moins une structure qui cherche à faire des profits. Ne nous trompons pas sur ce point. Un professionnel libéral n’est pas une association caritative ou philanthropique, même si la notion du

« pro bono » devient de plus en plus à la mode, notamment chez les professionnels du droit, qui y consacrent une petite partie de leur activité.

L’activité à but lucratif est soumise à l’impôt, quelque soit son objet (civil ou commercial), que ce soit à l’IBS (Impôt sur le Bénéfice des Sociétés) ou à l’IRG (Impôt

sur le Revenu Global), sauf exceptions. Ainsi, les associations, les syndicats, les groupements entre sociétés conclus conformément au code de commerce et les bureaux de liaison ou « representation offices« , ne sont pas soumis à l’impôt au titre de leur activité puisqu’ils ne sont pas susceptibles de réaliser des revenus au sens économique du terme, des profits (sauf bien entendu l’IRG sur les salaires s’ils emploient des salariés, qu’ils retiennent sur les salaires puis reversent à la recette des impôts, en jouant le rôle de collecteur de l’impôt, comme en matière de TVA).

Une petite parenthèse pour dire que les sociétés civiles professionnelles de professionnels libéraux (auxiliaires de justice, médecins, experts-comptables, etc) en Algérie ou SCPs dans le jargon, sont en principe soumises à l’impôt sur le revenu global (IRG) (article 136 du code des impôts directs et des taxes assimilées), puisqu’elles sont calquées sur le modèle de la société en nom collectif (SNC), prototype remarquable de la société de personnes, sauf option pour l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS).

Quels sont donc les intérêts de recourir à une société au lieu d’une entreprise

individuelle ?

Par exemple une start-up qui rend des services d’optimisation de la propriété immatérielle des entreprises, c’est-à-dire dont l’activité est de valoriser les logos, brevets et marques notamment de ses clients, a tout intérêt de s’associer avec un juriste spécialisé en propriété industrielle et nouvelles technologies, ainsi qu’avec un expert-comptable qui sache reporter ces actifs incorporels dans les états financiers de leurs clients. Voire même avec un community manager qui gère la communication de ces entreprises clientes sur la toile et le social media.

Pour résumer, les intérêts, schématiquement, sont au nombre de trois :

  1. La société est une technique d’organisation du partenariat :

En effet une société permet, contrairement à l’entreprise individuelle, l’arrivée de nouveaux associés aux côtés de l’entrepreneur individuel (comme l’exemple que nous venons de citer), avec les nécessaires principes juridiques d’intuitus personae et d’affectio societatis, autrement dit l’association de ces personnes en considération les unes des autres, et la volonté de participer à l’œuvre commune, à unir leurs compétences et apports, et à partager les profits et les pertes.

Une exception est celle de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EURL) puisque techniquement elle possède un seul associé, un seul propriétaire, à moins qu’il veuille changer de forme juridique et intégrer de nouveaux partenaires.

  • La société est une technique d’organisation de l’entreprise :

C’est l’intérêt le plus remarquable.

  • – Sur le plan juridique : la société bénéficie d’une personnalité légale propre, autonome, elle devient l’interlocuteur direct de ses clients, fournisseurs et des autorités (i).

L’autre intérêt est que la société scinde la personnalité de la société de la personne des associés ou actionnaires de celle-ci, contrairement à l’entrepreneur individuel, dans lequel se confondent l’activité et sa personne (ii).

Elle devient par exemple la « SARL VALORIS » et non l’entreprise « HAMANI et fils ».

La troisième utilité juridique est la transmission de la société entre vifs, puisque la cession des titres d’une société est nettement plus souple et facile que la transmission d’une entreprise individuelle, et d’ailleurs moins coûteuse (iii).

Enfin, sur le plan logistique et de la répartition des tâches internes, la société organise les fonctions au sein de celle-ci. Ce n’est plus l’entrepreneur qui s’occupe quasiment de tout, ou même s’il emploie des personnes, il risque d’y avoir pas mal d’anarchie

! Alors qu’avec une société, il y aura, au moins, un gérant et des associés, et, très souvent, un responsable administratif et financier, un directeur des ressources humaines, un chargé de la paie, des moyens généraux, etc, ce qui permet, au moins théoriquement, de donner un résultat plus efficient, sans compter une meilleure crédibilité vis-à-vis des clients.

  • – Sur le plan financier : la société permet également de devenir plus importante en ouvrant son capital à de nouveaux investisseurs, sans compter l’autofinancement, c’est-à-dire la technique du compte courant d’associés (prêts consentis par l’associé ou actionnaire à la société), et de bénéficier plus facilement de financements bancaires puisqu’une société est plus crédible qu’un entrepreneur individuel (entre autres par la technique d’origine anglo-saxonne du « LBO » – Leverage Buy-Out, bien connue dans le milieu des affaires) (i).

En outre, il y a un intérêt financier et économique non négligeable pour les sociétés, qui est de se regrouper en conglomérats, en groupements, et en groupes sur le plan fiscal, ce qui est très intéressant afin de bénéficier d’avantages fiscaux ou de participer ensemble à des projets économiques de grande envergure que, seules, elles ne pourraient assumer (ii).

  • Enfin, la société est une technique d’organisation du patrimoine :

Dans ce cas nous parlons des sociétés dites de gestion (i), c’est-à-dire qui gèrent un portefeuille (sociétés immobilières, organismes de placement de valeurs mobilières, holdings, etc), contrairement aux sociétés professionnelles classiques (ii).

Dans ce cas de figure la société gère un patrimoine comme le ferait un simple particulier, ce qui permet à la personne physique d’isoler ce patrimoine et de l’abriter dans cette société de gestion, ce qui est d’une grande utilité pratique.

Fiscalement parlant et sans rentrer dans trop de détails, nous ne le répéterons jamais assez, la différence est assez importante et il vaut mieux, si l’on dégage des revenus conséquents, être sous la coupe de l’IBS, obligatoirement ou sur option (à 19%, 23% ou 26% selon le type d’activité) que du barème progressif de l’IRG qui peut atteindre 35% dans sa dernière tranche et donc être confiscatoire, surtout si l’on additionne à l’IRG les autres charges fiscales et sociales (la TVA non déductible, la Taxe sur l’Activité Professionnelle « TAP », les cotisations patronales, etc).

Pour conclure, l’entreprise individuelle en Algérie, surtout dans le domaine du service et du gros œuvre, correspond à un mode de travail qui, me semble-t-il, est révolu, puisque tant l’organisation en elle-même de l’entreprise que le régime juridique et fiscal qui lui est applicable, ne permettent plus de rendre une prestation compétitive et de qualité à l’heure actuelle, et dont le retour sur investissement soit avantageux pour l’entrepreneur individuel.

La nécessité de structuration des professionnels devient de plus en plus accrue afin de regrouper leurs apports et compétences transversales et proposer un véritable full- service au client, dans une époque où le prestataire de services généraliste n’est plus en mesure de maîtriser l’ensemble des pans de son domaine tant l’information et les techniques se démultiplient et évoluent de jour en jour.

Mehdi Berbagui Avocat

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